Une enfance appalachienne
La semaine dernière, j’ai dévoré avec passion l’ouvrage de J.D. Vance, « Hillbilly Elégie », dans lequel il raconte son enfance dans les Appalaches, immense région montagneuse qui s’étend de Terre-Neuve (Canada) jusqu’au centre de l’Alabama. L’ Amérique profonde, celle qui vit dans « le fossé » (Hollow en anglais ), au cœur de la Rust Belt appauvrie et laissée à l’abandon depuis la fermeture des usines de charbon et de métallurgie.
Un coin de l’Amérique où sont implantés depuis des générations les Hillbillies (littéralement, gens de la colline), ceux qu’on surnomme (ou insulte) White Trash et qui représentent dans l’esprit collectif l’anti rêve américain: des blancs pauvres, incultes, bruyants, violents, mal (voire pas du tout) éduqués et baragouinant une langue qu’eux seuls peuvent comprendre.
Le cinéma s’empare parfois du cliché, avec des films plus ou moins réussis. Parmi eux, rappelons nous de comédies telles que « Joe la Crasse », « Les allumés de Beverly Hills » (Beverly Hills Hillbillies en anglais- le Québec avait d’ailleurs traduit de manière plus juste l’expression par « péquenots »), ou « Poor White Trash ». Mais certains réalisateurs se sont emparés avec brio de l’esprit White Trash, laissant à l’Histoire des chefs d’oeuvre de poésie et de réalisme: l’excellent « Gummo » de Harmony Korine, « The Florida Project », « Monster » ou encore l’improbable et hilarante série canadienne « Trailer Park Boys ». Plus récemment, le film documentaire « The Last Hillbilly » (réalisé par un couple de français) a récolté de nombreuses éloges et sera bientôt disponible sur grand écran (cinéma, quand reviendras-tu?).
Ainsi, on s’attache rapidement à la famille décrite par J.D. Vance. Malgré l’alcool, la violence maternelle, la pauvreté grandissante et les bouches Mountain Dew (phénomène local, l’expression décrit les dents cariées à l’extrême des enfants, biberonnés dès leur plus jeune âge avec cette boisson très sucrée) on comprend vite que l’appartenance et la fierté sont les deux piliers de cette communauté abîmée par la modernité. Une modernité rapide, faite de transformations économiques et d’exils, qui a précipité les Appalachiens dans la précarité et pour certains, dans la toxicomanie. Si l’auteur est sorti de cette spirale par la grande porte, diplômé d’une université prestigieuse, il ne renie rien de sa culture et interroge:
Quelle part de nos vies, bonnes ou mauvaises, devons-nous mettre au crédit de nos décisions personnelles, et quelle autre est l’héritage de notre culture, de nos familles et de nos parents qui nous ont laissés tomber dans notre enfance? Quelle part de responsabilité maman avait-elle dans sa propre vie? Où s’arrête le reproche et où commence la compassion?
(Hillbilly Elégie, J.D.Vance, page 295)
Superbe portrait sociologique (le livre a été adapté par Netflix sous le titre « Une ode américaine »), cette plongée dans l’intime d’une famille du Midwest nous permet également de saisir de nombreux détails sur leurs us et coutumes- pour le moins originaux. Parmi eux, quelques indications sur la cuisine et les habitudes alimentaires.
Ca mange quoi, un White Trash?
J.D.Vance décrit à plusieurs reprises la composition de ses repas:
Chez Mamaw Blanton, pour le petit déjeuner, nous mangions en général des œufs brouillés, du jambon, des pommes de terre frites et des biscuits; des sandwichs à la saucisse frite à déjeuner; et de la soupe de pois cassés avec du pain de maïs au dîner.
Hillbilly Elégie, J.D. Vance, page 30
Tout était frit- le poulet, les pickles, les tomates. Un sandwich à la bolognaise recouvert de chips à la tomate écrasés ne me paraissait plus si bon. La tarte aux mûres, autrefois considérée comme parfaitement saine, à l’image de tout plat contenant des fruits (les mûres) et des céréales (la farine) avait perdu beaucoup d’intérêt.
Hillbilly Elégie, J.D. Vance, page 213
Les grands classiques de la cuisine familiale, hérités des pionniers et savamment twistés dans un bain de friture! J’ai eu envie d’en savoir plus, et c’est comme ca que je suis tombée sur la bible du savoir gastronomique hillbilly: « White Trash Cooking », écrit par Ernest Matthew Mickler et publié en 1986. Le hasard faisant bien les choses, le livre fête son 25ème anniversaire cette année!
Devenu collector (l’édition originale neuve se vend 200 euros), il répertorie toutes les recettes typiques de cette communauté. Quoi de plus efficace pour comprendre quelqu’un que de partager son assiette? Si je pouvais m’assoir à la table de Mamaw et Papaw Vance, je leur demanderai certainement des astuces pour pêcher le poisson chat et réussir un gravy digne de ce nom! Je ne manquerai pas non plus de m’informer sur la chasse à l’opossum et la manière de l’accommoder pour les grands soirs- quand on ne sait plus quoi cuisiner à ceux qui ont tout vu, ca peut servir.
« White Trash Cooking » y répond sans détours, grâce aux judicieux conseils hillbillies de Tatie Donnah et Maman Leila:
L’opossum doit être nettoyé dès que possible après avoir été abattu. On doit le pendre pendant 48h et ensuite c’est prêt à être dépouillé et cuit. La viande est tendre et a une couleur claire. On doit retirer l’excès de gras, mais il n’y a pas de goût prononcé ou d’odeur dans ce gras. […] Il y a une seule chose à servir avec l’opossum- des patates douces. On ne mange l’opossum qu’en hiver.
Traduction- « Aunt Donnah’s roast possum, White Trash Cooking, page 45
Après avoir tué l’opossum, faites attention à ne pas le laisser s’échapper. Pendant que vous êtes en train de discuter et de réfléchir à la manière dont vous allez le manger, il va vous glisser sous le nez. Tout ce qu’il fait, c’est se la jouer opossum. Ecorchez-le et nettoyez-le avant de repartir vous promener, comme ça le bordel aura disparu et il ne s’en tirera pas.
Traduction- Mama Leila’s hand-me-down oven-baked possum, White Trash Cooking, page 45
Ca vous a mis en appétit? Voici quelques exemples de recettes qu’on retrouve dans le livre (uniquement en anglais- on ne gâche pas son plaisir à traduire):
- Uncle Willie’s Swamp Cabbage Stew (ragoût de choux des marais de l’oncle Willie)
- Betty Sue’s Sister-in-Law’s Fried Eggplant (aubergines frites de la belle-sœur de Betty Sue)
- Mary Linder’s Washday Soup (soupe de Mary Linder pour le jour de la lessive)
- Jail-House Chili (chili de prison)
- Liver-Hater’s chicken livers (foies de poulet pour ceux qui détestent le foie)
- Fried Squirrel (écureuil frit)
- Butt’s Gator tail (queue d’alligator de Butt)
- Mrs Arnold’s Saturday Night Shrimps (les crevettes du samedi soir de Mme Arnold)
- Kiss me not Sandwich (sandwich « ne m’embrasse pas »- sandwich pue-du-bec quoi)
- Mamma’s gone Fudge (caramel Maman est partie)
- Potato Chocolate Cake (gâteau de patates au chocolat)
- Cornbread in a Glass (pain de maïs dans un verre)
On y trouve également des recettes moins « traditionnelles », classées par catégories: Légumes et viandes, Poissons et crevettes, Salades pour le déjeuner et salades dessert, sandwichs et oeufs, bonbons gâteaux et cookies, puddings et tartes, pains de maïs et biscuits, achards et confitures, boissons.
Ce genre de cuisine vous intrigue? Vous aimeriez que je fasse une recette? Dites-moi tout en commentaire!
Pour aller plus loin:
- Documentaire sur une famille de Hillbillies/ White Trash « American Hollow », 1999 (en anglais, disponible sur Youtube)